Centrafrique : peut-on ignorer?

centrafriqueCentrafrique :  Qui doit rendre des comptes ?

La Centrafrique est en train de vivre, aujourd’hui, l’épisode le plus sombre de toute son histoire. De la traite esclavagiste à la mascarade humiliante du « président à vie » Bokassa, le pays vit des jours qui vont marquer indélébilement son avenir et celui de la région.

Jamais, ni sous le funeste système concessionnaire coloniale ni à l’ombre des régimes autocratiques qui ont suivis l’indépendance, la Centrafrique n’a vu une partie de ses enfants se muer en « génocidaires de proximité ».

Un pays, pourtant, connu dans son histoire récente par ses multiples mariages interethniques et interreligieux qui ont conduit la Centrafrique à une miscégénération. (Génération issue des unions d’individus d’ethnies, religions ou origines différentes).

« Fabriquer la haine et passer à l’acte :

Mais c’est bien ce qui se déroule quelques semaines après l’intervention française débutée le 5 décembre 2013. Une opération intitulée « Sangaris » et qui a décidé, à partir du 9 décembre, de désarmer les hommes de la « Seleka » qui soutenaient, le désormais ex-président, Michel Djotodia, depuis mars 2013, succédant ainsi à Bozizé. Djotodia, un président de mère chrétienne et de père musulman accueilli en triomphateur par toute la population centrafricaine et ses 80% de chrétiens et obéit par tous les Sélékas, sans exception.

Car c’est bien à Bozizé qu’il faut, déjà, remonter pour décrypter une partie de la situation. Confronté aux Sélékas  (à majorité musulmane), c’est lui qui a facilité ce qui prend la forme, aujourd’hui, d’ «une purification des musulmans centrafricains ».

Bozizé qui, en 2003, est arrivé au pouvoir par la force grâce à des groupes rebelles dont certains sont  venus du Tchad. En dix ans de pouvoir, l’appareil de l’Etat a été verrouillé, les postes ont été distribués à sa famille. Son fils, par exemple, était ministre délégué à la Défense et sa femme a remporté les élections législatives. Son neveu a été ministre des Mines puis ministre des Finances. Et c’est donc, dans ce sens, que le régime de Bozizé n’a pas respecté les Accords de Libreville qui devaient donner naissance à un gouvernement d’Union nationale.

Et pour perpétuer Bozizé au pouvoir on a donc choisi de diviser pour mieux régner et de tirer sur les ficelles de la haine au prix des massacres que vivent, actuellement, les centrafricains. La milice COCORA a, par exemple, été créée pour alimenter le sentiment antimusulman et le régime a organisé des campagnes antimusulmanes dans le seul but de se maintenir à la tête du pouvoir.

Bozizé qui à travers son conseiller, Lévy Yakété a distribué des machettes à ces jeunes « patriotes » en leur demandant de se constituer en milices afin d’affronter les Sélékas majoritairement musulmans fomentant ainsi la haine contre tous « ces complices » que représentaient, alors, la minorité musulmane.

Cette haine va germer, s’enraciner et c’est ce terrible amalgame sciemment instrumentalisé que payent cher, ces jours ci, la Centrafrique et ses citoyens et familles de confession musulmane.

 Pouvait-on ignorer ?

Alors que le ministre Fabius a « lâché » à deux reprises le mot génocide sur Télé matin le 21 novembre 2013, il avait en ligne de mire les exactions de Sélékas. Mais, vingt et un jour après, c’est de l’autre côté et contre les musulmans que le génocide s’organise. Le 3 décembre, un massacre de musulmans a lieu à 42 km de Bangui.

Michel Djotodia prévient pourtant la France. Et Nicolas Tiangaye, premier ministre et interlocuteur privilégié de la France le constate également. Il est présent 2 jours après, en France, convié au « Sommet de l’Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique ». Quelques jours plus tard, c’est le début de l’« extermination systématique » des musulmans centrafricains, que l’on sait.  

Ne sait-on pas, dès lors, du côté français la politique de la haine mis en place par Bozizé ? n’a-t-on pas eu vent d’un massacre de civils musulmans le 3 décembre ainsi que de cette ambiance délétère qui s’installe et menace directement la minorité musulmane du pays ?

Ne sait-on pas que le désarmement univoque des Sélékas, à partir du 9 décembre, sera un quitus donné aux « anti-balaka » ? Ceux-là même qui ont ouvertement décidé d’en découdre et dont certains clament « c’est notre pays c’est pas le pays des musulmans ».

Le ministre de la défense J.Y Le Driand prendra soin de rappeler le 19 décembre sur TV5 Monde que « désarmement » est « impartial » et que demande expresse est faite pour que « soit protéger » les populations « une fois que les armes soient posées ». Dans la pratique, ce n’est pas ce que rapportent les témoignages d’associations comme Amnesty et HRW.

Que répondre, également, lorsque des Quartiers généraux de milices chrétiennes ne sont pas dérangées comme celui du dit « Caporal Alfred Rombhot » au nord de Bangui, que dirent lorsque des miliciens tuent à tout va des femmes, des hommes, des enfants à raison de leur seule appartenance religieuse, que dirent lorsque l’on sécurise certains quartiers plutôt que d’autres et que dirent, encore, lorsque les milices anti-balakas ne sont pas contraints à déposer leurs armes ?


Qui doit rendre des comptes ?

Cette ex-colonie est en train de vivre son sort le plus funeste, un territoire dont les ressources potentielles semblent toujours aiguiser les appétits géostratégiques les plus voraces et dont l’odeur fétide est, patiemment, en train de contaminer, peut-être à jamais, le ciment de la nation centrafricaine.

Le sort de la Centrafrique est-il ainsi déjà décidé par la mise en œuvre d’un nouveau sykes-picot entre « grandes puissances » qui semble, déjà, avoir distribué les zones d’influences en Afrique et au Moyen-Orient ?

2 Responses to "Centrafrique : peut-on ignorer?"

  • Mohamed says:
  • repris says: