Charte de laïcité: coup d’épée dans l’eau?

laic4Charte de la laïcité : coup d’épée dans l’eau ?

La charte de la laïcité, présentée à la rentrée scolaire par Vincent Peillon ministre de l’Education Nationale, sera désormais affichée dans tous les établissements scolaires publics.
Cette charte prétend, selon les vœux du Ministre, réaffirmer une laïcité malmenée et en combler le déficit chez les élèves et les utilisateurs de l’école publique.

Commentant les quinze articles de cette charte, Jean Baubérot, historien et sociologue spécialiste éminent de la laïcité, la qualifie de « coup d’épée dans l’eau » et constate que le déficit le plus important de laïcité ne se trouve pas nécessairement du côté de ceux pour qui la charte sera affichée.

« Et oui, écrit-il, l’institution scolaire (et la République dont elle devrait être le fleuron) a vraiment beaucoup de progrès à faire pour être laïque : je propose donc que la Charte (dans sa version intégrale, bien sûr !) soit, pour le moment, affichée dans tous les bureaux du Ministère, de l’Administration et dans les Rectorats. Ultérieurement, on pourra étendre l’affichage aux Etablissements scolaires ».

Déjà et malgré les garanties de Vincent Peillon qui affirme qu’aucune communauté n’est visée, on peut déjà constater que les citoyens musulmans sont toujours directement stigmatisés.

Sont suffisantes pour nous le rappeler, les réactions à cette charte de certains membres de la commission laïcité au HCI (Haut-commissariat à l’Intégration qui recommandait tout dernièrement l’interdiction du port du voile à l’université à des étudiantes pourtant majeures).

En effet, par exemple, lorsque le jour même de la présentation de la charte, un des membres du HCI dans une interview, indiquait clairement que cette charte permettra, selon lui, de faire comprendre la laïcité à « certains élèves de culture musulmane ».

Ou encore lorsque le défenseur des Droits, Dominique Baudis, demanda à expliciter les modalités d’application de la charte : « qu’en sera-t-il des « mères voilées accompagnant les enfants lors de sorties scolaires », des « salariés du secteur privé agissant en lien avec les pouvoirs publics » », c’est à dire les crèches privées ?

La charte semble, donc, loin de trancher avec la stigmatisation des musulmans comme toutes les procédures précédentes.

Et au lieu d’affirmer clairement une position sur la base d’une laïcité telle qu’elle a été définie par ses fondateurs et les ténors de la laïcité de 1905 c’est-à-dire tolérante, ouverte et inclusive, le ministre de l’Éducation nationale propose une charte qui expose le choix d’une laïcité dogmatique et stigmatisante.

Et même avec tout cela, M. Sorel membre du HCI n’est pas tout à fait satisfait ; il estime encore que ce texte ne va pas assez loin et tenez-vous bien, il affirme que l’article 8 de la charte qui rappelle que « la laïcité permet l’exercice de la liberté d’expression », est en soi porteur de troubles !  Pourquoi ? Parce qu’il permettrait aux élèves de s’y référer pour justifier de leurs libertés d’expression et de conscience !

On devine alors avec frayeur que c’est bien la liberté d’expression que certains considèrent comme un mal à abattre surtout lorsqu’elle donne l’occasion aux citoyens musulmans d’en bénéficier.

De son côté, Jean Baubérot, spécialiste de la laïcité au CNRS et professeur émérite de la chaire Histoire et Sociologie de la laïcité à l’EPHE pointe, non sans humour, dans son article le déficit de laïcité qui semble, plutôt, être une plaie qui touche les institutions de l’Etat et dénonce également un texte tronqué de la charte.

Par exemple, évoquant l’article 2 et la neutralité de l’Etat à l’égard des convictions religieuses et spirituelles, l’auteur précise qu’« en conséquence il n’y aura plus d’enterrement officiel d’une personnalité politique dans une cathédrale. »

De même qu’aux articles 3 puis 8 qui rappellent la liberté d’expression des convictions, dans le respect de celles d’autrui et dans les limites d’un ordre public, manquaient, selon lui, cette précision : en conséquence si la puissance publique doit être neutre, pour assurer la liberté de conscience de tous, l’espace public n’a pas à être neutre. C’est au contraire un lieu de libre débat des différentes convictions. [Sans oublier] que l’Article 10 de la Déclaration des Droits de l’homme de 1789 parle de la liberté des « opinions, mêmes religieuses ». La liberté d’expression religieuse fait partie intégrante de la liberté d’expression,

Puis analysant l’article 11 qui rappelle le devoir de stricte neutralité des agents de l’institution, Jean Baubérot clarifie donc : « Ce devoir de neutralité concerne les agents publics, en conséquence il ne saurait s’appliquer aux parents d’élèves. Si une mère d’élève peut préparer des gâteaux pour la fête de l’école, revêtue d’un foulard, elle doit pouvoir faire traverser les clous avec la même tenue. »

Il est, donc, peut-être temps et surement inévitable, en lieu et place de l’instrumentalisation de la laïcité qui est faite aujourd’hui, de remettre sur pieds une laïcité ouverte, inclusive et tolérante dans le droit fil de l’esprit des lois de 1905.

 

2 Responses to "Charte de laïcité: coup d’épée dans l’eau?"

  • repris2justice says:
  • Néjia says: